40e RENCONTRES DE GINDOU
Regards croisés
sur le cinéma en Occitanie

Tchatche avec Mathieu Amalric, Clara Petazzoni, Eléa Marini et Roger Arpajou, animée par Karim Ghiyati, Occitanie Films.

Diffusion

18 août 2024

Gindou

Regards croisés sur le cinéma en Occitanie

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Après les projections matinales du court-métrage de Clara Petazzoni, Amours Sourdes, et du film de Mathieu Amalric, Serre-moi fort, les deux réalisateurs, entourés d’Eléa Marini (script) et de Roger Arpajou (photographe de plateau) se retrouvent sur la scène de l’Arsénic pour une conversation animée par Karim Ghiyati, directeur d’Occitanie Films.

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D’un geste et d’un sourire, Mathieu Amalric range son impressionnante filmographie en tant qu’acteur au rayon des heureux souvenirs. De Corse, Jean-Marie Larrieu rappelle qu’aux yeux de l’acteur, « acrobate et maitre de l’invention » pour qui il a écrit Un homme, un vrai (2003) , « la vedette, c’est le cinéma ». De fait, Amalric préfère d’emblée échanger avec Clara Petazzoni, jeune réalisatrice issue de la Ruche de Gindou, sur leurs derniers tournages. Tout deux ont réalisé en Comminges des films graves explorant les liens familiaux, le départ ou la perte qui bouleversent les destins et gèlent les âmes. Au pied des Pyrénées, sur des routes humides et froides, des femmes parvenues à un angle de vie cherchent à desserrer la souffrance, à vivre avec l’absence et le manque suffocant de ceux que l’on aime.

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Inspiré du texte de Claudine Galea, Je reviens de loin, la caméra de Mathieu Amalric capte « ce qui explose à l’intérieur, ce qui est en-dessous des mots ». « Amoureux du geste d’imagination de cette femme », incarnée à l’écran par Vicky Krieps, le réalisateur éclaire ce qui déclenche le besoin de faire un film, la perte d’un frère et l’exemple d’une mère parvenant à dialoguer avec l’absent. Questionnement chez Clara Pettazoni ou geste libératoire pour Mathieu Amalric, le spectateur suit les deux femmes dans leurs possibilités de bifurquer, prend conscience des pas de côté qui définissent la liberté.

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« Je viens d’un trajet », écrit aussi Meryem-Bahia Arafoui, issue de la Ruche de Gindou. Elle envoie un message depuis la Tunisie et évoque la possibilité, offerte par le cinéma, de « fabriquer des mondes avec plusieurs centres de gravitation ». Faire des films, c’est « prendre la responsabilité des rêves collectifs qui nous ont été transmis et, depuis nos intimités, fabriquer ce qui prendra feu de la plus jolie manière qui soit ». Capter les éclats de joie, c’est ce qui réunit les réalisateurs et photographe présents sur la scène.

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Dans le film que Mathieu Amalric consacre à John Zorn (2023), le musicien américain le dit avec délice : « It will never happen again ! ». Roger Arpajou, silhouette discrète des plateaux de tournage, se fait oublier « pour saisir un moment unique et garder la mémoire de l’éphémère ». Ses clichés, saisis sur le vif, dans l’abandon d’un instant, deviennent parfois l’affiche du film. Mémoire du tournage, Eléa Marini veille avec soin à la cohérence des scènes, des accessoires et des raccords afin que le fil de l’histoire se grave, sans anicroches, sur le sillon de nos souvenirs.
La rencontre se termine en musique, cela pourrait être avec Rameaux, la Gavotte et ses doubles, interprétée par Marcelle Meyer ou Cherry de J.J. Cale associés aux images de Serre-moi fort. Have a love will travel ? Ce sera Du bout des lèvres avec Barbara…

40e Rencontres de Gindou, sous l’œil de Roger Arpajou

À pas de loup, les mains posées sur l’appareil photo pendu à son cou, Roger Arpajou se glisse devant le grand écran de Gindou. Photographe de plateau depuis 37 ans, il se fait oublier, observateur attentif des expressions et des gestes, colle soudain l’œil au viseur et déclenche. Une ou deux prises, pas plus. Le geste tient de la photo animalière pour la patience et la discrétion, de l’animal de proie pour la capture, fulgurante et imparable. Invité par Occitanie Films à traduire l’ambiance des 40e Rencontres de Gindou, Roger Arpajou livre en triptyque, un poétique reportage.

Temps suspendu

Le mois d’août se love dans les douces collines de la Bouriane et réunit les amoureux du ciné dans un village de 300 habitants. Les corps reposent, en suspens dans un transat ou un hamac, posés dans le pré ; l’imaginaire en apesanteur flotte à la poursuite de mots, s’accroche à quelques notes de musique, en attente des films projetées à la nuit tombée. Plage aride sous le soleil, les 650 dossiers blancs du cinéma de plein air se peuplent de silhouettes, emmitouflées lorsqu’il se fait tard. Dans les derniers feux du couchant, Mathieu Amalric, parrain des 40e Rencontres, surplombe l’écran, l’air intimidé, avant d’y apparaitre sous les traits de Joachim, l’imprésario de Tournée (2010).

Favoris de la lune

Depuis Méliès, le cinéma est un art lunaire peuplé de rêves et de Pierrots réenchantant le quotidien, posant un rayon de lumière dans les coins sombres de l’âme. Fantaisiste, la lune accompagne l’œuvre d’Otar Iosselani dans laquelle Mathieu Amalric fit ses premiers pas d’acteur. Roger Arpajou capte l’astre tutélaire, rond de promesse au-dessus du public, et son double cinématographique, l’éblouissant projecteur. Lors de la soirée d’ouverture, leurs rayons se reflètent dans les flammes bleues du gâteau d’anniversaire posé au coin de l’écran. De jour ou de nuit, l’image s’expose : en collection sur un panneau de bois, entoilée le long du chemin ou sur les murs de l’Arsénic, la salle de spectacles inaugurée en 2018, qui décline des vues du film Serre-moi fort, tourné par Amalric en Comminges. Elle se capte, smartphone en main, en selfie-souvenir ou dans la lumière dorée d’une fin d’après-midi.

Lumière des regards

Roger Arpajou la saisit, fugace et irradiante, dans les regards. Ceux des bénévoles s’amusant ensemble de l’instant capté ; ceux de l’équipe organisatrice, plissés de sourires. Cette « lignée insensée », dixit Mireille Figeac (maire de Gindou), a fait grandir le rêve d’un festival de cinéma en ruralité. Sous les regards croisés des portraits d’Alain Tanner et de Nicolas Klotz, Mathieu Amalric échange avec Marie Cossart, créatrice de la librairie Vent d’Autan. Menton posé dans la main, le regard du réalisateur s’absorbe, attentif aux courts métrages de la nouvelle génération, aux mots de ceux qu’il rencontre. Réunissant public et professionnels, le cinéma d’Occitanie prend un bain de jouvence au cœur du Lot et se projette.

entretien

Clara Petazzoni, le goût des mots

Propos recueillis par Laurence Turetti

Dynamique abeille envolée en 2018 de La Ruche de Gindou où elle a suivi une résidence d’écriture, Clara Petazzoni a depuis fait son miel, alignant cinq courts-métrages dans sa filmographie et préparant de nouveaux projets dont celui d’un long-métrage.
En fille prodigue, elle était invitée le 18 août dernier à présenter son film Amours sourdes (2022), et à échanger avec Mathieu Amalric, invité d’honneur des 40e Rencontres de Gindou.

Depuis 2013, La Ruche propose des résidences d’accompagnement à des autrices et auteurs autodidactes. Quelle importance cette résidence a-t-elle eu dans votre parcours ?

Clara Petazzoni – Elle a été pour moi un formidable accélérateur. La Ruche permet de se rassurer sur le fait de savoir écrire. C’est un moment de bascule dans lequel on se pose plus la question de la confiance en soi, de la légitimité car il s’agit de faire. C’était une première expérience fondatrice puisqu’elle m’a offert la possibilité de produire, de créer. J’ai réalisé en 2019, Salut Cyril, mon premier court métrage auto-produit et ensuite Fertile (2022), adapté de ma nouvelle littéraire, Mangue.

Quelle est la place de l’écriture dans votre processus de création ?

Clara Petazzoni – L’écriture est première, c’est ce qui me relie aux choses et m’amène à la réalisation. J’écris depuis l’enfance et je suis aussi une grande lectrice. On apprend énormément d’autres créateurs, notamment des autrices telles que Goliarda Sapienza, Chimamanda Ngozi Adichie, Maryse Condé ou Joyce Caroll Oates dont je viens de terminer Les Chutes. Lycéenne, j’ai beaucoup lu Isabel Allende. Les livres nourrissent mes questionnements sur les liens familiaux ou amicaux, l’attachement aux autres, sur le devenir des personnages féminins abordés dans Fertile, Amours sourdes et Salut Cyril. Comment s’approprier son propre devenir ? Comment le destin individuel s’affirme-t-il par rapport au groupe familial ou social dont on est issu ? Ce sont les questions qui traversent mes films.

Si l’écriture est un travail assez solitaire, la réalisation permet de nouer des liens privilégiés avec une équipe…

Clara Petazzoni – Je m’entoure de collaborateurs avec lesquels la création s’enclenche. C’est important d’avoir le sentiment de parler la même langue et de nous augmenter mutuellement. C’est ainsi que nous travaillons avec Eléa Marini, scripte, et Ronan Boudier, chef-opérateur, avec lesquels j’ai collaboré sur Amours Sourdes ou Fertile et qui travailleront sur mon prochain court-métrage. Sur le tournage, j’attends de chacun qu’il soit dans la création à 100%.
Dans la direction d’acteur, il faut veiller à ne pas enlever la marge de création et conserver le plaisir de la découverte, loin de toute idée préconçue. J’avais indiqué à Pauline Cunnac, qui interprète le rôle de l’adolescente dans Amours Sourdes, l’état d’esprit du personnage, le contexte dans lequel elle vivait et les conflits qu’elle traversait, en la laissant libre de traduire ces hématomes intérieurs en attitudes, démarches, rythmes, intonations et émotions.

En décembre prochain, vous revenez tourner au Sud de la Haute-Garonne, en Comminges, où vous aviez réalisé Amours Sourdes. C’est pour vous un lieu inspirant ?

Clara Petazzoni – Nous avions été très bien reçus par la Communauté de Communes Cagire Garonne Salat et elle a renouvelé son invitation. J’ai également animé, en 2022, des ateliers d’écriture avec des publics scolaires autour du film de Mathieu Amalric tourné à Ganties, Serre-moi fort. Il s’agit de l’adaptation cinématographique de la pièce de théâtre de Claudine Galea, Je reviens de loin. Ce sont pour moi deux rencontres marquantes qui vont se prolonger dans de nouvelles créations : Mathieu Amalric a accepté de jouer dans Tu n’auras pas mes larmes et je prépare un documentaire sur Claudine Galea.
C’est donc un plaisir de revenir en Comminges avec ce projet, Tu n’auras pas mes larmes, produit par Emma Séméria (Too Many Cowboys, Montpellier). Le film raconte l’attachement émotionnel à l’autre, la difficulté du lien et se passe dans une petite ville enclavée, dans une atmosphère hivernale. J’ai hâte de filmer les Pyrénées. Le paysage, comme la présence d’une actrice ou un mouvement de caméra, raconte quelque-chose, donne une ambiance. Il éveille l’imaginaire. J’ai grandi dans un village des Alpes de Haute-Provence et mon imaginaire s’est incarné dans les paysages ruraux. C’est pour moi une question centrale : la ruralité sera également au cœur de mon premier long-métrage, Cellule familiale, situé au Sud de la France. Dans un paysage soumis à la sécheresse, où l’eau est rationnée, une enfant de 8 ans a le pouvoir de faire surgir l’eau…

Les Rencontres de Gindou ne sont-elles finalement pas l’exemple d’une ruralité créative et heureuse ?

Clara Petazzoni – C’est évident qu’elles donnent l’exemple, comme une porte ouverte vers un autre possible artistique, professionnel, loin des grosses villes et de leur agitation. Le rêve pour moi est de créer depuis la campagne, la retrouver parce que c’est là que je me sens pleinement bien, elle fait partie de mon identité. Un jour peut-être….

En décembre, vous tournez votre 4e court-métrage de fiction. Vous avez également réalisé un documentaire sur le peintre Carmelo Zagari et votre premier long-métrage de fiction Cellule Familiale est en développement. Comment vous sentez-vous à ce moment de votre parcours ?

Clara Petazzoni – J'ai très hâte de la suite. Je suis curieuse de ce qui va advenir et je travaille pour que les choses adviennent : trouver un producteur pour mon long-métrage, rentrer dans les phases de financement et de préparation...
Ce qui me frappe en parlant de projets de films, c’est que quelque chose qui n’existe pas encore devienne source de stabilité, fasse tenir debout. Comme si travailler jour après jour l'imaginaire, lui donner corps et vie, donnait à l'artiste un ancrage, une stabilité dont il s'était senti jusque-là amputé. Je trouve ça très puissant.

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